
« Et tant que l’on n’a pas expérimenté un nombre suffisant d’êtres humains, hommes ou femmes, on ne sait pas où l’on s’arrête en amour. Des inconnues dorment en nous dont beaucoup ne s’éveilleront jamais.».
«Dès la première minute de l'attente, je suis entrée dans le délectable processus du plaisir. Je vivais ce que l'existence peut offrir de meilleur et j'en étais consciente. Ce soir-là, en toute folie, j'aurais renoncé à dix ans de ma vie - mettons cinq ! - pour que rien ne vienne entraver le déroulement de la pièce que nous allions jouer et où aucun de nous deux ne savait encore son rôle.»
Benoite Groulx, les Vaisseaux du coeur
À M.B
Grisaille dehors : le ciel est bouché, plus d'horizon. Ça fait deux jours qu'il pleut sans relâche. Au sol, encore cette blancheur partout. L'hiver qui n'en finit plus de finir après six longs mois. Mathilde s'ennuie. Elle soupire en tournant la cuillère dans son café comme si au fond de sa tasse allait surgir la solution à la morosité ambiante. Voilà un mois qu'elle n'a pas joui. En fait, un mois que personne ne l'a touchée, lêchée, mangée, baisée comme il se doit et comme son beau cul le mérite. Un mois qu'elle perd à niaiser sur Internet à étudier le profil du candidat parfait, celui qui aura le physique d'Apollon et le Q.I d'Eisntein, qui la fera vibrer des pieds à la tête, une fois deux fois, trois fois, autant de fois que son souffle le lui permettra. Mais comme son champion se fait désirer, c'est son gode qui, tous les soirs, la fait se tortiller durant quelques minutes : elle se contente d'une petite vite facile, placebo bien minable, juste bon pour lui tirer quelques cris et pacifier ses tensions jusqu'au lendemain. Mais là, aujourd'hui, peut-être à cause de ce déluge qui l'a maintenue cloîtrée dans la maison pendant 48 heures, elle en a marre. Marre d'attendre. Marre de se consumer. Marre de perdre son temps. Elle veut s'envoyer en l'air. Alors exit Apollon! Exit Einstein. Elle veut une verge à masturber, une paire de fesses à agripper, un dos à lacérer. Elle veut un mec dans sa chatte et un dans son cul. Elle en veut trois, quatre, cinq, qui la prennent à tour de rôle jusqu'à ce qu'elle s'endorme, épuisée de mille et un orgasmes. Elle veut qu'on l'attache, qu'on la baillonne, qu'on lui bande les yeux, qu'on la fasse languir, qu'on l'étonne!
Elle se surprend à regarder des vidéos pornos où une actrice, fausse blonde aux gros seins, lui donne des envies lesbiennes. Elle s'imagine une cravache à la main, fouettant avec un air supérieur le cul de la salope, et ces mots crus qui sortent tout naturellement comme si elle en avait l'habitude : «T'aime ça être une bonne petite chienne? Hein? Allez, ma jolie, amène tes fesses que j'y fourre ma langue!». Elle filme le tout, il va sans dire, pour garder des traces de ses envies perverses et se les repasser en boucle pour agrémenter ses soirées solitaires.
Plus d'espresso dans la tasse, la cuillère sonne contre le grès. Petit bruit sec et retour à la réalité. Bye bye les gang bangs, bye bye la pitoune de luxe, bye bye les mots crus. Mince alors, pas une autre soirée sans sexe, sa santé mentale en dépend!
Sans trop savoir pourquoi, sur l'écran de son cellulaire défile la liste de ses contacts. Elle passe en revue les amants potentiels, disposés, disponibles, ceux qui lui ont laissé un bon souvenir ou un petit pincement au coeur... Soupirs... Elle envoie un texto, deux et puis trois, quatre, frénétiquement! Et puis, rien. Pas une réponse, rien, nada, elle fixe l'écran noir de son cellulaire, l'oeil hagard, mouillé, FUCK!

Pour la retenir ou à cause de ce qu'elle vient de dire, Cyrille lui propose un massage. Mais un vrai de vrai, pas un petit flattage d'épiderme pour finalement la fourrer. Non. Un vrai massage de spécialiste, pour atténuer ses douleurs. Il lui laisse son numéro de cellulaire pour prendre rendez-vous. Sur sa boite vocale, sa voix est chaude et enveloppante. Il la rappellera. Demain.
Elle est au travail quand Cyrille retourne son appel. C'est vendredi et Mathilde décide qu'elle se paie un après-midi de congé à se faire dorloter sous les mains du beau massothérapeute. Rendez-vous pris, elle a un petit sourire en coin quand elle raccroche le combiné.

Vendredri enfin 15h : une porte au bout du couloir silencieux est ouverte, le bruit mat de ses talons, Mathilde y est et elle est certaine de son coup : pantalon moulant, yeux de biche, un soupçon de parfum vanillé, good job comme dirait son amie Sophie. Elle fait mouche. Elle le voit, elle le sent quand ils échangent le premier regard. Elle est presque certaine qu'il la veut. Patience.... Sourire de satisfaction de la polissonne. Elle se déshabille, s'allonge sur la table, prête à s'abandonner, rêvant aux délices qui vont égayer son après-midi : c'est la première fois qu'un homme la masse; la première fois qu'un homme se donne à elle ainsi, aussi. Elle se surprend : elle est là, totalement là, présente, attentive, mais sereine et confiante. Cyrille peut commencer. Il s'en tient au massage, professionnel, enchaînant les manoeuvres sur ses muscles endoloris : effleurage, foulage, pétrissage, percussion. Sa voix en un murmure lui intime de prendre de grandes respirations. Les pressions régulières de ses mains sur son corps, la façon qu'il a de l'envelopper par ses bras, la sensualité de l'huile, la musique des guitares et des voix errailées de Munford & sons, il laisse libre cours à ses doigts, mouvements tantôt doux tantôt fermes, apprivoisant ses courbes tranquillement. Soupir mal contenu, Mathilde apprécie, mais Cyrille fait en sorte que les choses ne dérapent pas, lui-même conscient qu'elle partage le désir qu'il sent vibrer sous ses paumes. Magie de l'équivoque...
Mathilde sent ses pulsions charnelles se réveiller, encore plus vives que la veille. Rien dans les gestes de Cyrille pour la rendre à la somnolence des sens... surtout que maintenant qu'elle est couchée sur le dos, son visage s'approche dangeureusement du sien. Elle respire son souffle et se retient pour ne pas sortir ses mains de dessous la couverte pour l'attirer à sa bouche. Il plonge ses mains sous son dos et le drap qui recouvre sa poitrine descend imperceptiblement. Elle voudrait qu'il descende encore plus et que ses seins jaillissent, tétons érigés, agressifs et impudiques. Qu'il les saisisse du bout des doigts, qu'il les pince, qu'il les morde pour les faire gonfler et durcir! Elle se laisse aller à sa rêverie délicieuse. S'il glissait sa main jusqu'à sa vulve, il sentirait comme elle est mouillée. Mais au lieu de plonger vers sa caverne inondée, il remonte le drap pour l'emmitouffler. Elle sent son souffle se glisser dans son cou, ouiiiiii, ça y est, enfin, bon, il va l'embrasser! Mais non, juste ces trois mots qui tombent comme une sentence : voilà, c'est fini.